L’ARBRE DOIT PORTER DU FRUIT
Francis Pitz est l’administrateur délégué de l’ASBL Œuvres des Frères de la Charité qui regroupe deux centres psychiatriques (le CNP St-Martin à Dave et le CP Saint-Bernard à Manage), un centre orthopédagogique (le CO Saint-Lambert à Bonneville) et une école (l’Ecole Professionnelle Secondaire Inférieure Spécialisée ou EPSIS St-Lambert également à Bonneville).
Pourquoi il y avait le besoin d’une nouvelle mission ?
Un aggiornamento était absolument nécessaire. Il est évident que la mission précédente datait des années 1990 et donc à la fois dans l’expression, dans les mots utilisés, mais aussi parfois en termes de concepts mis en évidence, elle n’était plus adaptée au contexte belge de ce début du 21ième siècle.
Qui est Francis Pitz?
- Il est le mari de Joëlle Defrance, kinésithérapeute
- Il a quatre enfants : Adrien, Anne-Laure, Pierre-Alexandre, Aurélia
- Sa fonction : administrateur délégué de l’ASBL Œuvres des Frères de la Charité
- Ses hobbies : la musique, le sport, la lecture, …
Quel processus a-t-on parcouru pour arriver à la nouvelle mission ?
L’initiative a été prise en Flandre. La contribution francophone s’est réalisée à l’occasion d’une journée de réflexion stratégique des directions, qui s’est déroulée le 8 juin 2018, en présence de Koen De Fruyt (Chef du service Identité aux services centraux à Gand) et de représentants du conseil d’administration. Lier les valeurs, la vision et l’approche stratégique est un plus indéniable.
Quelles sont les forces de cette nouvelle mission ?
Tout d’abord, c’est l’affirmation de principes et des valeurs qui fondent notre action à tous les échelons de l’organisation.
Ensuite, elle comprend une dimension collective et une dimension individuelle. Donc, c’est le groupe (équipe, service, groupe) qui s’exprime ou qui peut s’exprimer sur ce qui inspire son action et, en même temps, l’individu, le professionnel qui, selon ses sensibilités et son parcours personnel, peut faire sien certaines dimensions particulières de la mission. Au niveau de l’accompagnement des usagers, on retrouve également une dimension collective (le groupe) et une dimension individuelle (l’usager X ou Y). On met de plus en plus l’accent sur les situations particulières et individuelles. Ainsi, ces deux dimensions se rejoignent constamment.
La troisième chose que je trouve importante, c’est que la mission dit l’essentiel en relativement peu de phrases.
Comment la nouvelle mission va-t-elle être implémentée ?
Il va nécessairement falloir d’abord communiquer, par rapport au texte. Cela veut dire aussi qu’il va falloir trouver un lay-out adapté, attractif, qui sera à la fois, je l’espère, sur support papier et visuel. Parce ce que l’on est à une époque où ce sont les images qui parlent le plus. Donc cela ne doit pas se faire comme par le passé à travers simplement un cadre avec un texte de mission affiché au mur. Si on veut toucher tout un chacun, il faut pouvoir mettre à la disposition de tous les collaborateurs, des visuels, des outils qui vont leur permettre de prendre connaissance et de s’inspirer de la mission de manière dynamique, de manière interactive.
Quelle est votre mission personnelle ?
C’est d’abord partir d’une inspiration, d’un idéal : contribuer à la vie en société. Pour ce qui me concerne, au niveau professionnel, c’est chercher et trouver des solutions à des problèmes assez complexes, voire délicats. Mon idéal comprend des éléments de foi, des éléments philosophiques, mais également des éléments pratiques : l’arbre doit porter du fruit. Les relations humaines sont au cœur de toutes nos activités. Donc, inspiration, réflexion et pratique. Les trois dimensions doivent être dans ma mission.
Qu’est-ce qui vous attire personnellement dans la déclaration d’adhésion ? Dans quelles des cinq caractéristiques vous vous retrouvez le plus : l’inspiration, la solidarité, le coaching, la priorité à la personne ou l’ouverture d’esprit ?
Je perçois les cinq dimensions comme un tout cohérent, dont les éléments sont indissociables. Prendre l’inspiration, cela peut se faire également en dehors du travail, à travers des temps en silence, les lectures, la méditation, l’écoute de personnalités inspirantes, les partages avec mon épouse. Pratiquer des valeurs positives, au jour le jour : la correction, l’équité, la solidarité, l’altruisme, l’humilité et la convivialité. Même si l’on est imparfait et, parfois aussi incohérent.
C’est une décision à prendre chaque matin et pas selon l’humeur du moment ! L’ouverture d’esprit et l’ouverture à autrui me tiennent particulièrement à cœur. C’est vraiment ne pas partir de certitudes et accepter que d’autres idées puissent venir sur la table. C’est aussi ne pas juger l’autre en fonction des apparences, mais plutôt d’essayer d’aller le comprendre dans ce qu’il/elle fait ou exprime, dans ce qu’il/elle est, de manière plus approfondie.
Quelle est votre vision du coaching ?
L’administrateur délégué doit veiller à agir dans une perspective à moyen et long terme. C’est donc travailler aujourd’hui, mais aussi pour « demain et après-demain ». C’est veiller à ce que notre organisation s’adapte constamment au contexte changeant. Il faut être conscient que changer les choses, les habitudes, les pratiques parfois, cela prend du temps. Et que chacun a un rythme qui lui est propre. Coacher, c’est accompagner l’autre en vue d’un « bénéfice », pour les usagers, pour l’équipe, pour l’organisation, mais aussi pour lui-même. C’est également donner du cadre, parce qu’il y a besoin évidemment d’un cadre pour pouvoir fonctionner de manière efficiente, mais en même temps c’est justement laisser de la place à l’autre pour qu’il puisse s’exprimer, qu’il puisse exprimer de nouvelles idées, de nouvelles orientations ou des projets. Donc, au final, coacher pour moi, c’est rendre possible.
Quelle est la force des établissements wallons ?
L’activité passe à travers les femmes et les hommes. La qualité, à tous les niveaux de nos établissements, est liée non seulement aux compétences professionnelles de chacun des intervenants, mais aussi à ses compétences humaines, relationnelles. Ensuite, c’est la capacité d’agir en équipe. Si on prend tous les établissements, quel que soit le département, quel que soit le secteur, jusqu’aux directions, il faut pouvoir fonctionner de manière collégiale et congruente. C’est un peu comparable à une équipe de football, de basket, de hockey : on peut avoir les meilleures individualités et rassembler les meilleures compétences, mais il faut pouvoir les faire travailler ensemble. C’est l’interdisciplinarité qui fait la force. Une deuxième force de nos établissements, c’est d’être bien intégré chacun dans leur contexte local respectif. La troisième force, cela a été ces dix dernières années, la capacité de s’adapter à des évolutions fondamentales dans les différents secteurs.
Quelle est la plus-value de faire partie du groupe les Frères de la Charité ?
Source d’inspiration et d’innovation, effet de taille et support à l’action. On n’est pas tout seul. On est toujours avec. Il y a l’inspiration et les valeurs qui sont mises en évidence, je prends un exemple concret : en matière de réseau Psy 107, le groupe les Frères de la Charité a défini une vision claire sur l’esprit dans lequel les directions doivent collaborer avec des partenaires. Il y a toujours une réflexion, une vision qui précède l’action. Nos conditions de négociation en matière de marchés publics font beaucoup d’envieux…
Un administrateur délégué ne peut pas gérer en fonction de ses affinités. Cela veut dire aussi qu’il doit bien les identifier pour pouvoir garder la juste distance et la juste proximité
Comment voyez-vous l’avenir des soins de santé mentale ?
Les évolutions qu’on vient de connaître ces 10, 15 dernières années vont continuer. Donc, on va aller encore plus vers les soins proches du domicile, mais en même temps il y a intensification des soins spécialisés à l’hôpital. Il faudra également qu’on soit plus proactif. C’est-à-dire accepter des situations d’urgence ou de crise psychiatrique. Il faudra également assurer beaucoup plus la continuité des soins à travers des trajets et des accords entre institutions reprises dans les 5 fonctions de la réforme. Cela sera fondamental.
On a aussi une grande chance en psychiatrie et dans le secteur du handicap qui est unique dans le monde professionnel quasi, c’est que, quelle que soit sa fonction, qu’on soit directeur, infirmier, médecin et qu’on soit administrateur délégué, on est au contact direct des usagers. Des usagers viennent à nous, ils s’adressent à la personne, avant de s’adresser à la fonction. On rencontre également des usagers sur le parking, dans les couloirs, des représentants d’usagers aujourd’hui dans les réseaux. En effet, aujourd’hui, on rencontre également les usagers avec un rôle de représentation, de discussion sur la qualité des soins. Et cela est très important, c’est une évolution fondamentale. Il y a un autre positionnement, grâce au réseau.
Quel type de dirigeant êtes-vous ?
Il me semble être perçu comme très professionnel, donc un homme de dossier, et persévérant. Il est important de veiller toujours à développer ses propres compétences et de les mettre au service du collectif. Bonne capacité d’analyse et d’anticipation. Le travail de l’administrateur délégué est aussi gérer des problèmes très concrets. Et des problèmes souvent complexes, y compris avec beaucoup d’interactions entre les personnes. C’est aussi être décisif, savoir prendre les décisions importantes, mais avoir l’humilité d’accepter que les choses ne se passent pas comme on le veut soi ou comme on aurait programmé ou espéré qu’elles se passent. Il faut pouvoir prendre des risques justifiés sur un plan organisationnel ou financier ou pour lancer de nouveaux projets.
Faire preuve de correction, respecter sa parole, savoir prendre ses responsabilités, avec élégance.
J’espère être perçu comme bienveillant, donc attentif aux situations particulières, même dans des situations tendues, voire compliquées sur le plan humain. Faire très attention aux personnes, même si on commet des erreurs évidemment.
Je suis exigeant, c’est vrai, avec moi-même, avec les autres. Il y a une culture de résultats. Les décisions et les projets doivent être mis en œuvre, après concertation.
Enfin, la convivialité, l’humour, pouvoir sortir du contexte et vivre d’autres choses ensemble. Là, mon côté liégeois, verviétois, ressort certainement : la convivialité, l’hospitalité sont des éléments fondamentaux.
Qu’est-ce que vous attendez du nouveau ministre de la santé publique ? Et de celui de l’aide sociale ?
Au niveau fédéral : il y a nettement moins de lits dans certaines zones en Wallonie et il faut absolument que l’on puisse participer aux projets d’intensification des soins. Si cela passe par un nouveau gel de lits, on n’a pas la possibilité ou peu de possibilités d’y participer. Donc il faudra trouver un autre mécanisme que le gel de lits pour pouvoir développer des projets en Wallonie. Cela pour moi c’est la top-priorité.
Au niveau régional, c’est assurer le financement des frais de fonctionnement en MSP.
Pour l’aide sociale, c’est donner aux institutions les moyens financiers pour mettre en œuvre leur plan de services, leur plan d’objectifs.
Comment combinez-vous vous-même le travail et la vie privée (famille avec 4 enfants) ? Y a-t-il des choses que vous emmenez du domicile au travail ou inversement ?
L’important pour moi sont les moments de calme, de silence, être simplement ensemble avec ma femme et les jeunes. Echanger quelques mots avec les patients, des usagers me permet toujours de dire au final : « nous travaillons tous pour telle personne ». Puis il y a la nature, le sport, les sorties (concerts, festivals), l’humour. J’ai la chance d’avoir des enfants avec beaucoup d’humour, bien dans leur temps. On rit beaucoup à la maison et cela fait énormément de bien.(rit)
Comment vous prenez des décisions difficiles au travail ?
(réfléchit) Je dirais toujours en prenant de la distance. A la fois physique et psychique, parce que beaucoup de ces décisions vont impliquer des personnes. La précipitation est rarement bonne conseillère et est même dangereuse. La tempérance par contre est une aide précieuse, est une valeur fondamentale dans ces cas-là. Il faut peser le pour et le contre, il faut essayer d’évaluer les impacts, ce qui n’empêche pas au final de prendre les décisions difficiles.
Un autre aspect aussi c’est la collégialité. On a rarement la solution tout seul. Donc il faut pouvoir aussi prendre les décisions difficiles en collégialité, au conseil d’administration et en concertation avec les directions et/ou avec d’autres personnes.
Y a-t-il au travail des gens que vous considérez être des amis ?
(réfléchit) C’est une question très délicate. Des amis, je dirais plutôt : tout être humain a des affinités. On peut avoir des affinités très importantes avec des personnes en particulier avec les personnes qui sont mes proches collaborateurs depuis des années. C’est clair. Mais il faut pouvoir accepter tout le monde. Un administrateur délégué ne peut pas gérer en fonction de ces affinités. Cela veut dire aussi qu’il doit bien les identifier pour pouvoir garder la juste distance et la juste proximité. Par rapport aux choses, par rapport aux personnes aussi. Parce qu’une valeur fondamentale pour moi c’est l’équité. Donc il faut pouvoir, vu qu’on prend des décisions complexes et qui impactent les personnes, le faire avec équité.
Que considérez-vous être votre plus grande force et votre plus grande limitation sur le domaine du travail ?
Ma plus grande force c’est je crois la capacité de travail, en termes de quantité, mais également la capacité de toujours savoir quelle est la casquette que j’ai sur la tête. Je ne suis pas qu’administrateur délégué, j’ai aussi d’autres casquettes, et donc de pouvoir tenir le rôle en fonction de la casquette que je représente.
(réfléchit) La limitation principale et acceptable c’est parfois le doute qui naît d’un manque de visibilité sur l’avenir. Et donc quelque part une crainte de prendre une décision qui aurait vraiment des impacts très négatifs.
Que signifie pour vous être proche des gens ?
Proche des gens pour moi c’est aller vers. Aime ton prochain, est le commandement absolu. Aimer son prochain c’est déjà aller vers l’autre, ce n’est pas nécessairement attendre que ce soit lui qui vienne. Aller vers l’autre, être accessible. Partager des moments, vivre des choses ensemble. C’est être dans le concret de la relation humaine. Et je dirais aussi être particulièrement présent dans les difficultés, si quelqu’un est confronté à une expérience de vie ou un moment difficile. C’est pouvoir envoyer un message, un SMS, donner un coup de téléphone. Je suis très attentif, chaque matin j’ai ma petite liste, en mémoire, de personnes à qui je pense. J’ai la chance quelque part d’avoir un peu de temps en voiture et il ne s’agit pas seulement de penser à quelqu’un mais aussi de témoigner de la présence, de l’écoute et, si c’est possible, de pouvoir aider plus concrètement.
Pourquoi un magazine du personnel est important ?
De manière tout à fait spontanée, pour moi cela participe à l’esprit de famille Œuvres des Frères de la Charité et groupe des Frères de la Charité. On fait partie d’une même organisation qui partage des valeurs fondamentales et donc c’est un outil de partage. Ce n’est pas seulement un outil d’information. C’est pouvoir reconnaître à la fois que d’autres, à travers leur vie professionnelle voire personnelle, partagent les mêmes choses, la même vision du monde, des soins. Mais en même temps c’est pouvoir découvrir la singularité de certaines personnes. A travers approches on découvre aussi la personne dans ce qui n’apparaît pas nécessairement dans l’exercice de sa fonction. C’est très riche. Approches, en tant que tel, a une modernité dans la manière de présenter les choses. Les rubriques, le ton, tout cela a vraiment été une évolution très positive. Et puis quelque part aussi c’est vraiment l’opportunité de mettre des personnes et des services en évidence. C’est une forme de reconnaissance collective. Quand on lit un article sur une personne ou sur un service, ils sont mis en lumière.
Que faites-vous pour vous divertir et ne pas penser au travail ?
Malheureusement je dors peu (rit). Parce qu’en tant qu’administrateur délégué c’est quand même difficile de sortir complètement du travail. Ce qui me fait beaucoup de bien ce sont mes play-listes. J’ai plus de mille musiques, y compris en néerlandais, en russe, en japonais. Il y a de tous les styles : du jazz, de l’électro(-pop), de la deep house russe, une « feel good », etc. Depuis peu aussi, dans ma play-liste rock, j’ai du rock plus ‘hard’ que je n’aurais jamais écouté il y a une dizaine d’années (rit). Le week-end je passe pas mal de temps à découvrir des artistes, c’est très passionnant. Il y a aussi les concerts, avec mon épouse. Nous allons régulièrement à des concerts ou festivals. Parce que j’aime bien la foule, la foule me détend. Me trouver dans la foule, un « homme » parmi d’autres, pour partager ce moment précis, ensemble. Pendant une heure et demie, cela provoque souvent des émotions incroyables. Quand je suis au concert, je suis quasi sûr que je ne vais pas penser au travail !
Le dernier concert que j’ai vu c’était Indochine. Et le plus beau concert auquel j’ai assisté, c’était celui de Lenny Kravitz à Anvers l’année dernière.
Sur le plan sportif, je vais un peu à la salle de sport mais surtout, je suis les enfants : mon aîné fait de l’impro, mon fils cadet fait du basket, mes filles de la danse et du volleyball et donc je suis beaucoup le week-end dans les salles de sport. Mais cela n’est pas toujours relaxant, ça dépend des matches… (rit)